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Au dessus de Chiba
22 septembre 2008

Janua Vera - 1

Lecture en cours : Robert E. Howard, Solomon Kane

J'ai craqué... J'ai acheté un roman de fantasy. Mais qu'est-ce qui m'a pris ? Bon, d'abord, j'ai choisi ce bouquin sur la foi du nom de l'auteur : Jean-Philippe Jaworski, c'est quand même le type qui a pondu le jeu de rôles Te Deum pour un massacre, ce qui n'est pas rien. Ensuite, j'ai suivi les conseils de mon libraire, alors que je devrais me méfier (ce garçon a parfois des goûts bizarres...)

Et me voila donc devant les quelques 300 pages estampillées "Moutons électriques éditeur" et emballées par une couverture d'Howard Pyle, plutôt réussie et tout à fait en accord avec le contenu.

Le contenu donc. Première découverte, ce n'est pas un roman, mais un recueil de nouvelles. Plus exactement un fix-up, puisque tous ces textes, s'ils peuvent se lire indépendamment, sont reliés entre eux par l'appartenance à un univers commun, le "vieux royaume" (mais où vont-ils chercher des noms comme ça, par les tripes d'Arioch ?), une chronologie et des événements historiques qui reviennent de loin en loin comme toile de fond, et même certains personnages principaux d'une nouvelle qui viennent faire une petite apparition de guest-star dans une autre (le chevalier d'AEdan* qui fait un court passage dans Une offrande très précieuse...).

Le monde lui-même est fort proche du notre, vers la fin du Moyen-Âge : une république vénitienne rebaptisée Ciudalia, quelques baronnies féodales, un assemblage de clans plus ou moins celtes que les royaumes voisins considèrent comme des barbares, des guildes, des scribes... Ce qui est plaisant, dans ce monde, c'est son réalisme (en particulier celui des combats : c'est brutal, sans beauté aucune, et on y meurt davantage de septicémie que d'étêtement ; pour tout dire, les scènes de violence rappellent l'excellent Livre de Cendres de Mary Gentle), et le recours des plus limités à la magie ou au bestiaire fantastique, qui, en général, encombre la fantasy et sert de Deus ex machina à des auteurs paresseux. Ici, à l'exception de l'amusant et peu mémorable Jour de guigne, tout fonctionne presque sans sortilège, monstres ou événements surnaturels, et les quelques incursions faites dans le domaine de l'irrationnel ne sont jamais assénées au lecteur. Il reste toujours libre de penser qu'elles ne sont non pas des faits réels, mais le fantasme des imaginations superstitieuses des personnages de l'histoire. Le farfadet vaguement elfique que Suzelle rencontre ? Une version médiévale du bovarysme. La vieille sorcière dotée de pouvoirs que rencontre Cecht ? Superstitions inventées par un barbare frustre terrorisé par la nuit au fond d'un bois...

Chacune des nouvelles se lit bien (avec une mention spéciale pour d'eux d'entre elles,, mais dès la première, Janua Vera, j'ai été agacé par une caractéristique qui m'a fait comprendre pourquoi, en règle générale, je n'aime pas la fantasy et j'aime la SF : tout bien fichus qu'ils sont (intrigue, univers, construction du récit, personnages attachants, rythme, etc.), ces textes ne recèlent pas d'idées. Janua Vera ? Une énième variation sur l'histoire du vizir qui, ayant croisé la Mort à Bagdad, croit la fuir en partant à Samarcande. Mauvaise donne ? Un scénario ultra-classique de jeu de rôles, du genre que je n'osais plus proposer à mes joueurs de peur de m'attirer une réponse comme : "Un assassinat sans histoire à réaliser pour notre commanditaire ? Ouais, on va le faire, mais on se doute bien que ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît, et on sait pertinemment qu'une fois que l'attentat aura foiré, on découvrira que c'était un piège et qu'on a été sacrifiés pour de plus hautes considérations politiques." Ad lib.

Chaque nouvelle est un récit, bien mené, plaisant, mais après ? Après, rien. Pas de question, pas d'idée, pas de réflexion. Juste une bonne histoire.

Plus encore, chaque texte dévoile une petite part d'un univers dans lequel on se sent bien, parce qu'il est sans surprise, semblable à un passé fantasmé qu'on a tous dans notre tête. C'est confortable, on se sent chez soi, à la maison, il n'y a rien qui dépasse, les rues de la pseudo-Venise s'appellent "via" et non pas Strasse, les barbares sont bien hirsutes comme il le faut... La devise d'un bon univers de fantasy, ça pourrait être ça : "surtout, pas d'imprévu, que le stéréotype soit notre seule règle."

Ce n'est pas une critique envers Jaworski, il remplit avec brio le contrat passé entre un écrivain et un lecteur de fantasy. Cependant, moi, je ne suis pas un lecteur de fantasy : je n'aime pas me sentir aussi con à la dernière page d'un bouquin que je l'étais à la première.

On ne peut pas parler de Janua Vera sans mentionner le style dans lequel est écrit le livre. La langue y est soignée, soutenue, "raffinée" nous dit Laurent Kloetzer en quatrième de couverture. C'est extrêmement bien écrit, avec un vocabulaire riche, des tournures et des constructions recherchées, bref, ça chie à l'oreille, pour parler poliment. La phrase qui ouvre la nouvelle Janua Vera et, du même coup, le livre, mérite à elle seule une mention : "Le voici brutalement dressé, haletant, les yeux écarquillés sur la pénombres des appartements royaux." Un début comme ça, ça vous donne envie de continuer à lire. Le reste est à l'avenant.

Des esprits chagrins (et j'en suis) pourront reprocher à Jaworski de parfois en faire trop. Son style brillant, complexe, audacieux, riche, fait parfois penser à une pâtisserie de mariage américain, où le cuisinier s'est cru obligé de remettre une couche de chantilly par dessus le troisième étage de meringue et de pâte d'amande rose, avant de compléter par une giclée de coulis de framboise. Les citations placées en exergue de chaque nouvelles contribuent à donner cette impression de "Z'avez vu comment je fais péter la culture ?" : Perse, Hugo, Eluard, Borges (en V.O., s'il vous plaît), Rutebeuf... On voit que Môssieur lit autre chose que le catalogue de l'outilleur auvergnat. Mais bon, aussi, on est aux Moutons électriques, l'éditeur qui ne fait pas dans le simple, l'humble ou le vulgaire.

À cette réserve près, il faut quand même saluer l'excellente qualité de la langue ; elle est pour une grande part responsable du plaisir qu'on a à lire ces nouvelles.

Je voulais continuer cette critique en disant tout le bien que je pensais de deux des textes du livre, Conte de Suzelle et, surtout, l'excellent Le confident, mais ça commence à être un peu long, alors ce sera pour une autre fois...

J-F S.

* : Ha, mortecouille ! voila le genre de maniérisme qui m'agace, chez les auteurs de fantasy : trouver des noms propres imprononçables ou difficiles à écrire avec un jeu de caractères standard, comme si ça pouvait passer pour de l'imagination. Voila qui me rappelle mes premières parties de Donjons & Dragons, où les joueurs se croyaient les rois du pétrole dès qu'ils avaient pondu un nom de personnage tellement imprononçable qu'il aurait pu rapporter plus de 75 points au Scrabble...

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Commentaires
J
@ rmd : Mais-heu ! J'ai pas l'temps. Si, j'ai un bout de texte à propos de "Porno" d'Irvine Welsch à sortir de mon répertoire "brouillons", ça va venir... Quant à mes lectures, je suis en train de terminer "Le gouffre de l'absolution" de Reynolds. Ça prend un peu de temps, ce genre de pavé. Et puis je travaille, moi ; je ne suis pas patron.
R
Et t'as rien lu depuis un mois ? Feignasse!
L
Bon, vu que tu me cites, j'en profite pour dire quelques mots sur le sujet...<br /> Je ne suis pas d'accord avec ton appréciation sur le fait que Janua Vera offre "juste de bonnes histoires". En premier lieu, parce que, si ce livre a bien un défaut, c'est celui de ne pas offrir de vraiment bonnes histoires : elles sont toutes assez orientées jeu de rôle, basées sur le principe : un commanditaire demande un truc au héros, qui doit se rendre compte qu'on essaie de l'arnaquer...<br /> Au delà de ce point, les qualités de Janua Vera sont évidentes : qualité d'écriture et d'ambiance. JPJ arrive à faire vivre un rêve du passé, à infuser un récit contemporain d'éléments historiques, à nous faire partir dans des temps révolus, faussement plus simples. En ça, par son utilisation de l'Histoire, ce bouquin est profondément sensible et original. Je trouve l'ambiance "historique" beaucoup plus réussie que dans Cendre, par ex. C'est dans la finesse des émotions évoquées que Janua Vera est le meilleur.<br /> Alors oui, pour moi c'est un livre qui ne rend peut-être pas moins con, mais qui rend plus riche :).
Au dessus de Chiba
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