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Au dessus de Chiba
17 septembre 2008

Unica

Lecture en cours : Irvine Welsh, Porno

L'oeuvre est parue au Livre de poche, dans la collection de Gérard Klein, avec un bandeau proclamant fièrement "Nouveau grand prix de la science-fiction française 2008" sous une couverture de Jackie Paternoster que ma bonne éducation protestante et bourgeoise m'interdit de qualifier autrement que de peu inspirée. Elle a reçu une critique plutôt positive de Bifrost. Puis elle s'est vue décerner le prix Rosny aîné 2008, devant des romans comme l'excellent Leçons du monde fluctuant de Jérôme Noirez ou le très honorable La lune vous salue bien de Johan Heliot. Tout ça sous la signature d'une quasi-inconnue dans le monde de la SF, une certaine Élise Fontenaille dont on apprend qu'elle a publié six autres romans, dans des collections "blanches". Voila qui titille la curiosité. Et pour cinq euros, on ne va pas se priver.

On se retrouve donc devant quelques 150 pages écrites gros et avec beaucoup de vides (la faute à la multiplication de courts chapitres), avalés en moins de deux heures. C'est l'histoire de Herb, un flic travaillant au Canada pour une unité spécialisée dans la traque des pédophiles sur internet. Et voila qu'un jour, on découvre qu'un groupe de gamins, eux aussi hyper-doués en informatiques, grillent la politesse à la cyber-unité : ils pénètrent les réseaux de la police (hacker vaillant, rien d'impossible), ils repèrent les amateurs de chair fraîche, s'introduisent chez eux avant l'arrivée des petits hommes bleus et leur implantent une puce qui les punit par là où ils ont péché : visionner des images pédophiles leur détruit les yeux aussi sûrement que la découverte de l'arbre généalogique chez les rois de Thèbes.

Pour Herb commence la traque d'Unica, la chèfe de ce groupe de justiciers en culottes courtes. Mais elle va le conduire à fréquenter une bien troublante enfant...

Bon, tout ça se lit sans difficulté, mais laisse le lecteur que je suis plutôt dubitatif sur le rapport entre le roman qu'il vient d'avaler et les éloges nombreux que celui-ci a reçus. Parce que j'ai beau tourner le truc dans tous les sens, il n'y a pas grand chose de palpitant ou de neuf dans ce bouquin.

Le récit en lui-même ? Un polar mâtiné de quelques gimmicks technologiques (la puce à "feed-back" ; internet, qui commence à être un peu poussiéreux pour faire vraiment moderne ; le "dreamcatcher"). Un parallèle entre la vie du héros (sa grande soeur a disparu quand il était gosse) et son boulot (il traque les méchants pédophiles qui enlèvent les petits enfants) : que voila une recette foutrement originale, qui n'a jamais été utilisé auparavant dans les polars (romans ou films...) !

Le style ? Rien de percutant, purement utilitaire. Avec une mention spéciale pour les dialogues, plus creux et insipides qu'un débat d'idées au sein du Parti socialiste.

L'enquête ? Pas vraiment palpitante... Le flic est d'une intelligence discrète, et malgré son incapacité à mener ses investigations, les éléments lui tombent tout cuits dans le bec. Ajoutons à cela une distance parfois assez marquée entre l'auteure et la notion de cohérence du récit (voir en fin de post, pour ceux qui ont lu le roman).

Mais surtout, au-delà de ces défauts, le roman frappe par sa capacité à éviter de traiter des questions intéressantes : des enfants peuvent-ils légitimement punir des pédophiles ? Un type qui ne fait que fantasmer sur des relations sexuelles avec un gamin est-il un criminel ? La question est à peine posée en fin de roman, avec cet avocat qui s'exclame "on a tout de même le droit de rêver !", mais l'auteure se dépêche de passer à quelque chose de beaucoup moins compliqué. Avoir des désirs envers un adulte qui, par un tour de passe-passe biotechnologique, a gardé un corps d'enfant, est-ce de la pédophilie ?

Unica effleure chacune de ces questions, mais se garde bien de creuser un tant soit peu le sujet. Dommage. Et un peu court pour viser le Nobel que lui souhaite Gérard Klein dans sa préface.

J-F S.

P-S : un petit complément, qui dévoile la fin du roman (traduction pour les mal-comprenants : SPOILER ci-dessous, ne lisez pas cela si vous ne voulez pas connaître la fin d'Unica !)

J'ai été frappé, dans le dernier chapitre d'Unica, par la grosse incohérence qui apparaît, et qui m'amène à me demander si Élise Fontenaille s'est relue, à un moment ou un autre. Au début du bouquin, Herb nous raconte combien il a été malheureux dans sa jeunesse, parce que sa soeur avait disparu et que tout le monde pensait qu'elle avait été enlevée par un pédophile. On a même eu recours aux grands moyens pour la retrouver : "ça a fait un bruit du tonnerre, les associations de parents, de défense des enfants [...] le maire a joué au cow-boy, la police a mis le paquet." ; "Sa photo a paru dans les journaux et au dos des cartons de lait pendant des mois.". Des années après, le héros lui-même utilise les moyens de la cyber-brigade et un logiciel spécialisé du FBI pour retrouver une trace d'elle. Tout ça en vain.

Et dans le dernier chapitre, on apprend que la gentille soeurette s'est barrée de chez sa maman, à Vancouver, pour aller vivre avec son papa, en Alaska. Et qu'elle n'a jamais donné signe de vie à son frère, ni à la police, ni rien. Étonnant, non ?

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