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Au dessus de Chiba
3 novembre 2008

Utopiales 2008 - jour 1

Lecture en cours : Laurent Genefort, La mécanique du talion

Quelques souvenirs à chaud des Utopiales, consacrées aux réseaux. Invité d'honneur : William Gibson. Yeah !

Levé bien avant l'aube, j'ai traversé la France à moitié enneigée jeudi matin, dans le Panzer climatisé de mon ami et néanmoins libraire Big Luna pour arriver à l'heure pour la conférence d'Alastair Reynolds, sympathique écossais que je soupçonne être le meilleur auteur de Space-Opera vivant. Peu avant 14 h, nous pénétrons donc dans la cité des congrès nantaise, décorée de l'affiche officielle de la manifestation, moche à faire avorter une hyène, sans doute pour rendre hommage aux récentes couvertures des bouquins de l'éditeur local, l'Atalante.

La conférence de Reynolds se déroule devant un auditoire clairsemé. L'heure matinale, le mauvais choix dans la date (pas de bol, cette année, le week-end de la Toussait ne dure que deux jours...), ou bien le manque de notoriété de cet auteur, peut-être réputé (à tort) difficile ? Mais bon, la qualité a remplacé la quantité. Reynolds est un monsieur très sympathique, qui aime parler de ce qu'il écrit, avec modestie (ainsi sa réponse à une question sur la prétendue complexité psychologique de ses personnages : d'accord, c'est un peu plus fouillé que du Aubenque ou du Hamilton*, mais il le dit lui-même, ça mériterait d'être plus travaillé). En particulier, il explique qu'il n'a pas travaillé à partir d'un plan établi décrivant l'ensemble du cycle ; il écrit un roman après l'autre, laissant l'histoire le porter.

Autre point qui m'a paru intéressant dans cette conférence : Reynolds semble réfuter l'étiquette New Space Opera, en tout cas pour ce qui concerne son oeuvre. Il pense faire du Space-Opera, et c'est tout.

Dans la foulée, Reynolds reste sur scène pour la table ronde suivante, consacrée au rôle de lanceurs d'alarmes auquel peuvent prétendre les écrivains de SF. Peu échaudé par les bides de l'année précédente, les organisateurs ont confié l'animation de ce débat à Jérôme Vincent. Je continue à trouver ce choix... surprenant. Autour du sémillant Monsieur Loyal d'Actu-SF, Catherine Dufour, Pierre Bordage et Gyger viennent tenir compagnie à Alastair Reynolds. Katioucha et Pierre Bordage, s'ils ne révèlent pas de scoop, traitent le sujet honorablement : les écrivains d'anticipation sont des Cassandre, et pourront au moins avoir la satisfaction de préciser, au soir de l'Apocalypse : "vous irez pas dire qu'on vous avait pas prévenus !". Gyger, le directeur de la Maison d'ailleurs, apporte des éléments de réponse assez pertinents, faisant en particulier remarquer que si la SF récente (disons post-1950) a échoué à faire entendre ses craintes, elle avait au contraire réussi à communiquer sa foi en la science durant la première moitié du XXe siècle.

Reynolds, de son côté, explique longuement (il faut dire qu'il en est un peu réduit à rabâcher, Jérôme Vincent s'obstinant à lui poser trois ou quatre fois la même question) que, s'il ne nie pas l'existence d'une SF lanceuse d'alerte, lui même s'en bat un peu les génitoires (il est trop poli pour dire les choses comme cela, mais ça revient un peu au même) : ce qui l'attire, lui, dans la SF, c'est la démesure, le vertige scientifique, le Sense of Wonder, et c'est pour ça qu'il en écrit. Étant résolument optimiste, il préfère se projeter dans un avenir lointain et s'amuser autour de ce que pourrait devenir l'humanité. Il aurait pu ajouter qu'il ne voyait pas, du coup, ce qu'il foutait dans cette table ronde, à moins de penser que les organisateurs voulaient absolument mettre un anglophone dans le casting et qu'il était le seul disponible... Mais bon, là encore, il semble trop poli pour ça.

Cependant, il fait deux remarques qui me paraissent des plus pertinentes. La première, c'est que ce rôle de lanceur d'alarmes, qui avait peut-être un jour appartenu à la SF, est maintenant tenu (avec plus de succès) par d'autres supports, en particulier les revues scientifiques (qui font de plus en plus de place aux questions d'éthiques et aux conséquences des nouvelles technologies dans la société). La seconde (quoiqu'à la réflexion, je ne sais plus si c'est Reynolds ou Gyger qui l'a dite), c'est que la SF est probablement le seul genre à se poser la question de son utilité politique. Une telle interrogation n'a jamais vu le jour, par exemple, dans la littérature générale (sans trop connaître le sujet, j'ai cependant l'impression qu'on pourrait infirmer cette dernière assertion en regardant du côté de la littérature française de la fin du XIXe, ou au milieu du XXe en se tournant vers des gens comme Camus, Sartre...).

J'ai quitté la salle en pensant que, peut-être, la plupart des écrivains de SF étaient persuadés qu'au fond, leurs cris d'alarme ne servaient à rien (ne touchant qu'une poignée de lecteurs, déjà convaincus), mais que c'était une idée tellement désespérante qu'il valait mieux ne pas trop l'avouer publiquement.

Je suis ensuite passé à la librairie où j'ai pu me faire dédicacer La pluie du siècle par Alastair Reynolds. Comme en début d'après-midi, une déception sur la fréquentation : je n'ai que deux personnes devant moi dans la queue. Avantage, cela me permet de discuter longtemps avec l'auteur. J'en profite pour lui parler de... ATTENTION SPOILER AHEAD! Si vous n'avez pas lu Le gouffre de l'absolution, fermez les yeux.

la mort de Clavain. Il rit, pensant que je vais, comme d'autres lecteurs, l'engueuler pour avoir tué ce personnage si attachant. Puis il me confirme que la scène fut très dure à écrire et l'a laissé complètement lessivé ensuite. Il précise même qu'il avait initialement pensé le tuer à la fin de L'arche de la rédemption, avant de lui accorder ce sursis.

FIN DU SPOILER, vous pouvez ré-ouvrir les yeux.

Je lui avoue ensuite ma petite frustration sur la fin du Gouffre. J'attendais une bonne baston finale entre Humains et Inhibiteurs, pas cette fin où le problème semble un peu trop vite évacué (je serais méchant, je dirais que c'est limite mesquin de faire une ellipse dans les trois dernières pages d'un bouquin qui en compte plus de mille) . Reynolds semble assez d'accord, et ajoute qu'il n'exclut pas d'écrire un nouveau roman dans cet univers, tout en rappelant que la fin de l'histoire est donnée, dans ses grandes lignes, dans sa longue nouvelle, Galactic North.

Je termine l'après-midi en allant à la table-ronde "25 ans après, que reste-t-il du Cyberpunk ?" avec William Gibson, Jean-Marc Ligny, Greg Bear, Richard Morgan et Norman Spinrad. Trop de choses ont été dites pendant cette discussion pour que je le résume ici (et puis vous n'aviez qu'à y être...). Juste quelques points qui m'ont titiller les neurones. Ainsi Gibson qui semble considérer que l'un des paradigmes du Cyberpunk, c'est la disparition de la middle-class (pour moi, c'était plutôt une façon de caractériser le Tiers-monde). À l'époque où il a écrit Neuromancien, il trouvait que l'archétype de la ville cyberpunk, c'était Mexico ; maintenant, ce serait plutôt Moscou, et sans doute bientôt une ville d'Afrique.

Ceux qui m'ont paru le plus pertinents sur la question ont été Greg Bear et surtout Norman Spinrad. Je retiendrai deux interventions de ce dernier : la plus importante contribution apportée par le cyberpunk (dès ses précurseurs, le Tous à Zanzibar de John Brunner étant très souvent cité), c'est sans doute l'irruption de la conscience de classe au sein de romans SF qui, jusqu'alors, en étaient dépourvus ; si l'apparition du mouvement cyberpunk a fait naître un espoir de consciences politiques s'éveillant par la lecture de la SF, cet espoir est mort avec la généralisation de la quincaillerie technologique qui servait de décor au genre : on a pu espérer voir émerger des cyber-punks dans les années 80, et au final, on n'a obtenu que des cyber-geeks.

Je finis la soirée avec mon logeur nantais (grâce soit ici rendu à son accueil chaleureux) et deux otakus qui essaient de me convaincre des délices de la vie sociale sur WoW.

J-F S.

* : Peter ou Edmond, sur ce plan-là, c'est kif-kif...

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Commentaires
G
On peut garder espoir que ce blog reprenne un jour ou il est définitivement en sommeil??
Au dessus de Chiba
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