Soit dit en passant
En cours : Ursula le Guin, les Dépossédés.
Bon, ma mère ayant pris la peine de se construire trois pseudos différents pour réclamer le retour de son blogueur préféré, je me sens obligé de reprendre mes contributions éclairées à l'enrichissement intellectuel du web 2.0 qui n'avait pas besoin de ça, le pauvre...
Alors, puisque d'aucuns auraient pu croire "Au dessus de Chiba" mort et débranché, quelques mots sur un excellent roman de SF, plutôt atypique : Passages, de Connie Willis, dont j'ai du vanter, autrefois, le très spirituel Sans parler du chien.
On peut, sans trop se tromper, émettre l'idée que Passage est beaucoup moins humoristique que ce dernier. Il raconte la vie de deux chercheurs en milieu hospitaliers, un neurologue et une psychologue, qui tentent de percer les secrets des expériences de mort imminente (EMI), les Near death experiments. Mais le roman est à mille lieu du sensationnalisme du type l'expérience interdite. Au contraire, même, puisqu'il oppose aux deux protagonistes une sorte de charlatan féru de thèses mystico-paranormales.
Si tout élément de fantastique est totalement absent du roman, on hésite aussi à le classer du côté de la SF, tant les hypothèses scientifiques ou la technologie mises en scène semblent proches de notre monde réel (pour autant que je puisse en juger, mes connaissances en neurosciences et en imagerie médicale étant plus que limitées).
Le sujet une fois dépouillé de toute théorie fumeuse, de tout sensationnalisme, que reste-t-il ? Un roman de près de 900 pages (édition de poche, la précédente étant sortie en deux volumes) qui décrit par le menu la vie quotidienne dans un grand hôpital, la mise en place d'une expérience médicale avec un protocole sérieux, un long développement passionnant sur la notion de métaphore, tant en littérature qu'au niveau du fonctionnement du cerveau, des personnages attachants (les femmes davantage que les hommes, qui sont traités de façon un peu caricaturale, mais bon, on se consolera en relisant l'intégrale du cycle de Gor), une grande discussion sur les catastrophes et leur signification dans l'histoire...
Et quelque chose qui s'apparente à l'exercice de style réalisé avec brio : des centaines de pages pendant lesquelles il ne se passe rien, ou juste la routine, où l'action semble stagner, et pourtant, Connie Willis ne lasse jamais le lecteur (j'exagère un peu : j'ai du sauter quelques pages par-ci par-là, mais sur l'ensemble du roman, ça reste anecdotique). Mieux encore, sa façon un peu lente, un peu répétitive de décrire par le menu les actes les plus anodins de ses personnages contribuent à faire entrer le lecteur dans l'univers de cet hôpital, grosse machine bureaucratique à moitié folle, d'une inertie décourageante, et cela rend le quotidien des protagonistes beaucoup plus palpable, beaucoup plus terre à terre, ce qui produit un contraste saisissant avec les enjeux au coeur du roman : comprendre la mort et tenter de la vaincre, ou tout au moins de la repousser.
J-F S.