Crépuscule d'acier
Lecture en cours : Robert Silverberg, Les masques du temps
Le
nom de Stross m'était déjà passé sous les yeux, d'une part parce que le
titre de son précédent roman traduit en français, Le bureau des
atrocités, ne laisse pas indifférent, d'autre part parce que j'avais
lu, ici ou là, de très bonnes critiques de cet auteur. J'envisageais
donc de faire une descente sur ma librairie préférée, quand on m'offrit
très gentiment Crépuscule d'acier, son deuxième roman à paraître chez
nous.
La très jolie couverture de Manchu donne une idée assez juste
du ton du roman : on navigue constament entre du space-opéra très
léger, dans une société qui a régressé jusqu'à une mentalilté
conservatrice du XIXème siècle, genre "Sissi dans l'espace", et un
roman bourré d'idées sur la propulsion spatiale, d'évolution de
l'univers, de gestion des paradoxes temporels qui sont à la limite du
"hard-science". Un peu comme si Alastair Reynolds avait voulu réécrire
Le roi des étoiles de Hamilton... Un mélange a priori surprenant, mais qui passe très bien.
La
base du roman de Stross est assez simple : un jour, il s'est produit la
"Singularité" (à laquelle fait référence le titre original, Singularity
Sky, titre que je trouvais plus intéressant que Crépuscule d'acier, qui
m'évoque inévitablement un festival de musique wagnérienne organisé par
le comité d'entreprise de BMW..., avant de découvrir sur le site de
Stross qu'une suite de ce roman, intitulée Iron Sunrise, était sortie
en 2004 ! On peut donc espérer une prochaine traduction de ce "sequel" chez Mnémos.). La Singularité, disais-je avant de disgresser. Une sorte de
police de l'univers, l'Eschaton, a dispersé les humains loin de leur
système solaire, pour les empêcher de faire des bêtises avec le voyage
dans le temps et autres manipulations violant la sacros-sainte Loi de
Causalité. Après une période troublée, plusieurs sociétés se sont
reconstituées.
Le roman raconte les soubresauts de l'une d'entre
elles, la Nouvelle République qui, comme son nom l'indique, est une
autocratie sclérosée par des aristocrates militaires, au sein de
laquelle germe une rébellion qui évoque fortement les mouvements
communistes juste avant 1917. La Nouvelle République se trouve
"attaquée" par une entité étrange, qui vient bouleverser la société en
offrant l'abondance de biens matériels à tous. La charge féroce contre un régime dictatorial et figé et les chamboulements créés par l'apparition soudaine de la gratuité et l'abondance au sein d'une économie basée sur la rareté prennent évidemment un sens particuliers quand on sait que Stross, en dehors de son activité d'écrivain de SF, est un journaliste spécialisé dans le logiciel libre et en particulier Linux.
Les héros de cette
histoire sont deux "agents secrets" venus de la Terre pour empêcher la
Nouvelle République de commettre le crime suprème : violer la Règle de
Causalité pour repousser les assaillants.
Crépuscule d'acier souffre
de deux défauts. Tout d'abord, le style est parfois un peu étrange, un
peu "faux". Mais on a l'impression (deux ou trois phrases
particulièrement bancales plaident dans ce sens) que la traduction est
responsable de ce problème. Le deuxième point gênant réside dans les
personnages : à l'exception du leader des révolutionnaires, ils sont
tous très manichéens. Les agents de la Terre sont braves,
intelligents, beaux, spirituels et astucieux. Les militaires de la
Nouvelle République sont bas du front, lourdement bellicistes,
arriérés, mysogines et méchants comme une rage de dents.
Heureusement, le roman est suffisament bien mené pour que l'on passe
assez facilement sur ces défauts. Il y a du rythme, du suspens, un
univers riche... Stross émaille son histoire de nombreuses scènes
comiques, de façon très pince-sans-rire, il pousse certaines logiques
jusqu'à l'absurde et offre des images assez stimulantes : pluie de
téléphones sur une planète, un amiral de la flotte complétement gâteux
qui est persuadé d'être enceint (certaines réunion d'état-major sont
des scènes d'anthologie), les soubresauts de la Révolution sont souvent
cocasses... La description des batailles, très technique, est digne des
plus grand roman de space-opéra : vocabulaire techno-militariste
obscur, considérations plus ou moins délirantes sur la mécanique
relativiste (j'aime beaucoup l'idée des vaisseaux spatiaux qui transportent avec eux un mini trou noir comme mode de propulsion), brouillard de guerre (toutes les batailles sont décrites
du point de vue de la passerelle des vaisseaux engagés dans l'action,
ce qui montre bien que le plus gros problème des officiers, c'est
d'obtenir des informations fiables sur la situation extérieure)... On s'y croirait.
En définitive, c'est un bon roman de space-opéra, intelligent et bien mené, et en même temps qui évite de se prendre trop au sérieux, ce qui en fait une lecture agréable. Vivement l'Aube de fer !
J-F S.